« Ce dont je me rends compte, c’est que les gens sont vraiment dépourvus devant cette situation. Qu’est-ce qu’on fait? Quelles alternatives sont possibles? Quelles sont mes options pour gérer la situation? ». Voilà le constat que fait Me Anaïs Lacroix, associée chez Latitude MGMT, avec qui j’ai eu le plaisir d’échanger pour la rédaction de cet article sur un sujet qui nous passionne et nous occupe toutes les deux.
Les obligations : faire cesser et prévenir
La première chose à savoir, c’est que l’obligation d’un employeur en présence d’une situation de harcèlement comporte deux volets : dans un premier temps, l’employeur doit faire cesser le harcèlement, et dans une seconde étape, il doit agir en prévention. « Ce qu’on souhaite, c’est faire cesser le harcèlement, mais ultimement, on veut orienter nos actions pour prévenir toute nouvelle manifestation de harcèlement », explique Me Lacroix.
On parle ici d’une obligation de moyens et non de résultats. L’employeur doit donc prendre les moyens raisonnables pour prévenir et faire cesser le harcèlement.
Concrètement, faire cesser le harcèlement peut prendre plusieurs formes, mais débute dans tous les cas par un état des lieux pour bien comprendre ce qui se passe, ce qui est allégué et faire la lumière sur le bien-fondé ou non des allégations. À cette étape, bien des employeurs se tournent vers l’enquête. Cependant, l’enquête ne résout pas une situation de harcèlement, met en garde Me Lacroix, d’où l’importance d’obtenir des recommandations. Celles-ci peuvent prendre diverses formes et s’étaler dans le temps. La médiation, des mesures correctives (par exemple, des mesures disciplinaires), une gestion active des conflits, de la formation, des activités de sensibilisation, une meilleure communication et du coaching sont de bons exemples de recommandations souvent formulées au terme d’une enquête.
La prévention passe quant à elle par l’identification des facteurs de risque présents dans l’organisation, puis par l’élaboration d’un plan pour mettre en place des mesures pour limiter ou minimiser ces risques. Pour Me Lacroix, la prévention signifie aussi s’attaquer à ce qui, bien souvent, précède le harcèlement : l’incivilité, une tolérance trop grande au sein de l’organisation vis-à-vis certains comportements répréhensibles, ou encore un engagement de tolérance zéro insuffisamment clair de la part de la haute direction ou des gestionnaires qui n’agissent pas de façon exemplaire ou qui n’interviennent pas. Ces facteurs contribuent à hausser le risque que des situations de harcèlement se développent au sein d’une organisation.
Les faux pas à éviter
Il existe par ailleurs de nombreux faux pas à éviter lorsqu’on se retrouve devant une situation de harcèlement. En tête de liste? Ne pas agir! Rien de pire que de laisser une situation de harcèlement en suspens et remettre son traitement à plus tard. Il s’agit d’ailleurs du premier conseil donné par Me Lacroix à ses clients : « Passez aux actes! Ne pas se dire que la situation va se gérer d’elle-même. Il faut intervenir tôt pour maximiser ses chances d’agir de la façon qui a le moins d’impact possible sur les parties impliquées. »
Aussi, Me Lacroix recommande à l’employeur de se poser les bonnes questions afin de déterminer s’il a ou non les ressources et l’expertise interne pour gérer ce type de dossier. En cas de doute, il vaut mieux faire appel à une ressource externe spécialisée.
D’autres faux pas à éviter :
- Banaliser la situation;
- Prendre parti ou en donner l’impression;
- Sous-entendre qu’on ne croit pas le plaignant ou, à l’inverse, ne pas donner la chance au mis en cause de s’expliquer;
- Gérer maladroitement une mesure provisoire (une suspension pour enquête, par exemple) en laissant entendre qu’elle correspond à une reconnaissance automatique de culpabilité;
- Vouloir aller trop vite ou trop lentement; un juste équilibre doit être recherché pour faire avancer le dossier à bon rythme sans toutefois négliger la rigueur du processus et de l’analyse.
Les risques en cas de manquement
Un employeur qui ne respecte pas ses obligations s’expose d’abord à une série de recours devant les instances judiciaires : poursuite en dommages, grief, plainte devant la CNESST ou devant les tribunaux de droit de la personne. Me Lacroix précise que les tribunaux octroient de plus en plus de dommages aux plaignants en cas d’inaction de l’employeur, mais hésitent aussi de moins en moins à imposer des mesures d’action qui vont bien au-delà de la compensation financière.
Et comme le rappelle Me Lacroix, il ne faut pas non plus ignorer les impacts possibles sur la réputation de l’organisation de même que sur ses relations avec le public, ses partenaires d’affaires et ses employés. Il s’agit ici d’un risque non négligeable qui peut entraîner des conséquences dévastatrices pour une organisation. Depuis le mouvement #metoo et avec la place importante occupée par les réseaux sociaux, les dossiers de harcèlement sont de plus en plus médiatisés, et ce, bien souvent au détriment d’un sain (et confidentiel) processus d’enquête et de résolution.
En terminant, nous ne rappellerons jamais assez l’importance d’intervenir et ce, malgré l’absence d’une plainte officielle. D’ailleurs, Me Lacroix ne fait aucune distinction entre un signalement et une plainte officielle. Dès le moment où l’employeur ou le gestionnaire est au courant d’une situation de harcèlement, la responsabilité de l’employeur est engagée et déclenche l’obligation d’agir pour faire cesser et prévenir le harcèlement par tout moyen raisonnable.
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